I - Origines et développements de la psychogénéalogie
L’homme pratique la psychogénéalogie depuis la nuit des temps : les ancêtres, le culte des morts, les rites et d’autres phénomènes et traditions culturelles et religieuses nous montrent combien honorer ses ancêtres est capital dans la vie de chacun.
Dans un sens, les civilisations anciennes et les pratiques traditionnelles entretiennent un rapport essentiel avec la mémoire familiale et les générations antérieures pour que les relations entre les vivants et les morts soient harmonieuses.
Anne Ancelin Schutzenberger est à l’origine d’un concept clé́ de la psychogénéalogie appelé́ « le syndrome anniversaire » et de l’outil méthodique indispensable de cette approche : le géno-sociogramme. Schéma précis de l’arbre généalogique, il permet de voir d’un seul coup d’œil les dates et éventuelles coïncidences. Voici comment elle raconte sa découverte et la manière de l’utiliser :
« Dans les années soixante-dix, j’allais accompagner et suivre à domicile, à Paris, sur sa demande, une jeune Suédoise de trente-cinq ans qui se savait condamnée par un cancer terminal et ne voulait pas mourir “découpée en tranches comme un saucisson” et avait appelé́ au secours. Les médecins venaient de lui amputer à nouveau, pour la quatrième fois, une partie du pied et ils s’apprêtaient, impuissants, à amputer encore plus haut.
Puisque j’avais une formation psychanalytique freudienne, je demandais à cette jeune femme de laisser aller son esprit et de me parler librement de tout ce qui lui passait par la tête, par associations d’idées. Comme vous le savez, une analyse est longue, parfois très longue, et cet exercice aurait pu se dérouler sur dix ans. Mais il n’y avait pas de temps à perdre : c’était une course contre la mort.
Il se trouve que chez elle trônait le portrait d’une très belle femme sur le mur du salon. Ma patiente m’apprit qu’il s’agissait de sa mère, morte du cancer à l’âge de trente-cinq ans. Je lui demandais alors son âge. « Trente-cinq ans », me dit-elle. Je fis : « Ah ? » Elle fit : « Oh ! » J’eus soudain l’impression que cette femme s’était à ce point identifiée inconsciemment à sa mère qu’elle s’était comme « programmée » pour suivre et répéter son destin tragique... À partir de là, tout a changé́ pour elle, comme pour moi.
Quand je l’ai aidé à réaliser que, si elle succombait à son cancer, il n’y aurait plus personne pour fleurir la tombe de sa chère mère et que, de plus, sa chère maman aurait voulu qu’elle vive longtemps, ce fut pour elle un choc et il s’opéra un changement radical dans sa vie et sa maladie.
Elle eut envie de vivre, cessa de développer des symptômes, ses métastases disparurent, elle reprit de l’énergie et du poids, récupéra son travail et une vie normale... Elle se fit mettre une jambe artificielle et commença à apprendre à skier ainsi et à conduire une voiture spécialement aménagée. Elle devint même rayonnante au point que ceux qui l’avaient soignée ne la reconnaissaient plus !
Si l’origine de la douleur, de la maladie, du mal est proche de la conscience, visualiser l’histoire de sa famille d’un seul coup d’œil, sur sept générations, c’est-à-dire la replacer dans son arbre généalogique, sans son contexte psycho-politico-économico-historique, sur une centaine d’années, et prendre brusquement connaissance de la répétition, cela peut parfois suffire à créer une émotion assez forte pour libérer le malade du poids de ses loyautés familiales inconscientes. »
II - Le mécanisme du refoulement inconscient
Depuis Freud, il est admis que le psychisme comprend une part consciente et une part inconsciente appelée aujourd’hui « l’inconscient ». Pour simplifier, le psychisme est semblable à un iceberg : la partie émergée, visible, serait la conscience (elle représenterait 10 % du psychisme total) ; la partie invisible, l’inconscient, est beaucoup plus grande (les 90 % restants).
Lorsqu’une sensation ou un évènement du passé semble avoir disparu, il est en réalité́ conservé à un niveau plus profond ou caché dans l’inconscient.
Le processus de refoulement, qui se produit dans les situations d’injustices ou de traumatismes, maintient alors le traumatisme dans la partie invisible de la psyché́. Le refoulement perdure jusqu’à ce qu’il y ait une sorte de réparation : ce peut être le simple fait de reconnaitre ce qui a été́ refoulé, c’est-à-dire en quelque sorte de le ramener à la conscience.
III - L’inconscient familial
Il est devenu évident que l’inconscient familial est déjà̀ présent dès la naissance, voire pendant la gestation ou même la conception ! Les psychanalystes actuels estiment que le fœtus même est influencé par le psychisme de sa mère pendant la grossesse.
Donald Winnicott, l’un des précurseurs de l’importance des parents (de la mère, surtout) dans le développement de l’être, a qualifié́ la mère de premier miroir du nouveau né.
En prenant en compte le « poids » de l’héritage familial, on en est venu à parler d’enfant « chargé » : l’enfant n’a pas une nature méchante ou agressive qui serait de son fait ; il hérite des refoulements de ses parents qui expliquent son comportement. La tristesse d’un petit vient de celle de sa mère, la maladie d’un autre fait écho à la dépression de son père, etc...
Attention, cependant, à ne pas penser l’hérédité́ comme une malédiction (tout comme on ne saurait réduire un être à son complexe d’Œdipe !).
Souvent, le sujet qui entreprend un travail analytique est celui qui doit changer le traumatisme en guérison, pour lui mais aussi pour ses ascendants et ses descendants. C’est précisément le travail entrepris sur l’arbre généalogique qui invite à faire cesser les répétitions.
Ainsi, les descendants, conscients ou inconscients, volontaires ou non, se doivent de réparer les traumatismes du passé remontant parfois à deux, trois, quatre générations, voire plus. La psychogénéalogie part d’un minimum de trois à quatre générations, mais il peut être nécessaire de remonter plus loin encore, à sept générations ou plus, pour trouver une clé́ de lecture. Il y a également lieu dans ce travail de recherche de prendre en compte les traumatismes individuels et les traumatismes collectifs (guerre, génocide, etc.).
Les développements récents de la psychanalyse associent aussi cet inconscient à une « mémoire cellulaire » : il serait imprimé dans l’ADN de chaque individu et donc dans sa lignée familiale.
IV – Le poids de la loyauté́ familiale
Il s’agit de considérer le principe de justesse au sein d’une famille, autant sur les valeurs matérielles qu’affectives, morales et spirituelles. Le système d’un individu s’équilibrerait à partir du respect de cette loyauté́ familiale envers les uns et les autres.
L’harmonie règne si le « livre des comptes » est à jour. En revanche, les dysfonctionnements se manifestent dès lors que se présente un problème de dette ou de trahison. En cas de manque de justice, les déséquilibres naissent et toutes sortes de phénomènes sont observés : accidents, maladies, échecs, effondrement, etc.
On peut avoir l’impression d’une sorte de vengeance invisible alors qu’il s’agit d’une injustice réelle mais remontant à des générations antérieures, passée d’un inconscient individuel à un inconscient familial.
Cette loyauté́ invisible amène alors un individu de la famille à devoir rétablir l’équilibre et réparer les torts subis par ses aïeux. Ces individus présentent souvent les mêmes difficultés dans la vie : ils donnent l’impression de se battre en permanence contre des éléments hostiles réels venant de l’extérieur. En réalité́, ce sont souvent les fils de l’histoire familiale intérieure qui les empêchent d’avancer.
La loyauté́ invisible passe de génération en génération, se manifestant par des comportements incohérents, des échecs, des accidents et d’autres phénomènes cherchant ainsi sans arrêt à équilibrer une injustice.
V - Si les fruits changent, l’arbre change
Lorsque l’on commence à faire une introspection sur sa vie et que l’on est en quête de soi, on observe la plupart du temps ce phénomène de transmission qui fait écho à la notion de karma en Orient : nos actes sont enregistrés et chacun doit être équilibré dans cette vie ou la prochaine.
Comme nous l’avons vu précédemment, un deuil non fait, un traumatisme non exprimé, un secret non révélé́ ou d’autres phénomènes «cachés» se répètent comme involontairement d’une génération à l’autre. Il devient alors nécessaire de se libérer de ce poids appartenant au passé.
Paradoxalement, la véritable santé et liberté́ de chaque être serait liée à l’acceptation de chacun comme faisant partie d’un tout, d’une communauté́, d’une famille en quelque sorte. La personne cherchera à s’affranchir ou se libérer du poids de sa famille, alors qu’il lui faut au contraire renouer avec cette famille non pas en se réconciliant avec elle et les personnes physiques (ce qui peut bien évidemment être un moyen supplémentaire) mais bien avant tout en guérissant l’origine même de ce qui a rendu le lien familial pesant ou encombrant.
Car en se guérissant soi-même, on guérit la famille.
En conclusion
L’arbre généalogique semble s’inscrire dans l’inconscient de chaque membre de la famille, et donc dans son corps.
Le travail transgénérationnel dépasse la seule guérison de l’individu : en soignant l’arbre qui est en soi, on répare les branches de l’arbre tout entier. Si les fruits changent, l’arbre change.
Parfois, des maux physiques surviennent sans raison apparente, rendant perplexes les médecins et autres spécialistes du corps et de l’organisme. Parfois, un individu ne s’explique pas un comportement particulier ou des situations qui semblent se répéter inexorablement.
Quoi qu’il en soit, nous appartenons toujours à un arbre généalogique infini et toujours vivant. Au fond, et malgré́ la pensée moderne, matérialiste et compartimentée, la vie de chacun ne commence pas au moment de sa naissance mais bien avant ; tout comme elle ne se termine pas non plus le jour de notre mort mais se poursuit après nous.
Repousser l’histoire familiale, chercher à couper ou effacer l’héritage transgénérationnel qui nous définit, c’est sans doute s’en rendre encore plus prisonnier.
L’absence de conscience des uns et des autres pousse à perpétuer des dettes antérieures, respecter des « loyautés invisibles », tomber dans des répétitions qui nous échappent et nous empêchent très fréquemment d’avancer dans notre vie et de nous réaliser pleinement.
La psychogénéalogie permet ainsi l’exploration des racines de l’arbre pour guérir les branches et les faire fleurir.